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Sommes-nous incapables de mettre au monde nos bébés ?

Sommes-nous vraiment incapables de mettre au monde nos bébés nous-mêmes ?

Par Ludivine Baubry


Concernant les modalités autour de la naissance, deux mondes semblent s’affronter aujourd’hui. D’un côté l’institution médicale qui tente de garder le contrôle sur les patientes via des pratiques obstétricales interventionnistes et de l’autre, les milieux de naissances naturelles qui s’organisent et portent la parole des besoins et désirs de la femme qui donne la vie. Ce qui est regrettable dans cette vision manichéenne des choses, c’est que beaucoup de femmes qui se questionnent sur leur manière d’accoucher ont l’impression qu’elles n’ont que deux options possibles : soit accoucher de manière guidée et protocolaire à l’hôpital, en recevant des médicaments voire des chirurgies qui ne sont pas anodins pour leur santé et celle du bébé, soit choisir un accouchement naturel à domicile qui leur feront endurer d’interminables heures de contractions dans une souffrance horrible et potentiellement traumatisante, en prenant des risques inconsidérés.

Plutôt que d’alimenter un débat souvent stérile sur l’opposition accouchement à domicile ou à l’hôpital, il nous semble que la priorité serait tout d’abord de rétablir la vérité autour de l’aspect sécuritaire de la naissance en général. Plus ce constat sera véhiculé et plus les mentalités évolueront, laissant ainsi la possibilité aux familles de reprendre leur pouvoir, d’être en mesure de faire des choix adéquats et éclairés et de redevenir acteurs de la naissance de leur enfant, tant à domicile qu’en maternité.

Les messages transmis par les médias et certains professionnels au sujet de l’accouchement augmentent le conditionnement dont nos sociétés modernes sont victimes ; à savoir que l’accouchement est un acte médical, dangereux et générateur de souffrances. La plupart des femmes pensent donc qu’elles doivent s’entourer de professionnels pour « les accoucher », qu’elles ont absolument besoin de leur expertise pour y parvenir, au nom de leur sécurité et de celle de leur bébé. Notre culture nous mène à croire que nous ne sommes pas capables de donner naissance à notre enfant sans assistance médicale renforcée.

Tout d’abord, il n’y a que deux acteurs vraiment indispensables pour une arrivée au monde : le bébé qui naît et la femme qui accouche. Une troisième personne, au mieux une sage-femme peut permettre à la femme de répondre à son besoin de sécurité, indispensable au bon déroulé de l’accouchement. Cependant, la sage-femme n’est pas actrice en tant que telle du processus de naissance, elle n’est que facilitatrice. Nombre de sages-femmes qui ont l’habitude d’accompagner des naissances physiologiques rapportent que leur rôle principal est de protéger l’environnement de la femme qui accouche, de créer un climat de sécurité émotionnelle et d’intimité suffisants pour que la femme puisse enfanter sous sa propre autorité hormonale. Elles disent faire appel à leur technicité médicale dans une très moindre mesure, l’accent étant mis sur la préservation des facteurs qui favorisent le processus physiologique. Elles se font donc les plus discrètes possibles, car toute tentative de guidance ou de contrôle engendre automatiquement des risques de sortie de la physiologie et donc augmente le risque de complications pour la femme ou le bébé.

Une tendance actuelle est de formuler l’objectif principal au sujet de la naissance de manière négative : réduire le taux d’interventions obstétricales. C’est une bonne intention. Mais il semblerait davantage porteur d’enseigner aux professionnels comment rendre les accouchements les plus faciles possibles. Scientifiquement, le processus de la physiologie de la naissance est maintenant mieux connu, nous savons objectivement ce qui facilite (intimité, chaleur, sécurité, pénombre, inhibition du néo-cortex, liberté de mouvements) ou ce qui freine la progression d’un travail (langage, observation de la femme, lumière, froid, interventions physiques et médicamenteuses, position obligatoire sur le dos, peurs).

Pousser et souffrir ne sont pas la manière dont une naissance naturelle se caractérise. Les autres mammifères n’ont besoin ni d’expert, ni de technologie pour leur dire ce qu’ils doivent faire et pourtant ils donnent naissance avec aisance dans la plupart des cas, car c’est précisément l’absence d’intervention qui permet la simplicité de ce processus. Chez les femmes, nous avons de nombreux récits qui témoignent de la possibilité d’accoucher simplement et rapidement quand les conditions favorables sont réunies.

Dans sa préface du livre de Laura Kaplan Shanley, Accoucher par soi-même, Michel Odent déclare :

« la priorité, à l’échelle de la planète est de faire en sorte que le plus grand nombre de femmes mettent au monde leurs bébés grâce à la libération d’hormones naturelles, c’est-à-dire grâce à un véritable cocktail d’hormones de l’amour ».

En effet, Michel Odent est le premier médecin français à tirer la sonnette d’alarme face aux répercussions de l’utilisation de l’ocytocine de synthèse, très largement usitée lors des accouchements (risque de complications durant la naissance, attachement mère-enfant, dépression post-partum, mise en route de l’allaitement, comportement relationnel et dépendances à l’adolescence et l’âge adulte…).

La recherche montre que la sur-médicalisation des naissances comporte de multiples inconvénients pour la mère et le bébé. Le contexte médical ne permet pas à la femme de « glisser » dans un état de conscience favorable à la naissance et rend le processus plus fragile. Les femmes doivent savoir que l’interférence médicale est souvent la cause des complications. Par exemple, en ce qui concerne les cas d’hémorragie du post-partum, qui hante les esprits tant au niveau des médecins que des patientes, nous pouvons constater qu’elles ont augmentées quand les femmes ont commencé à accoucher à l’hôpital, alors qu’il est très rare que survienne ce type de problématique quand elles ne sont pas soumises à des interventions extérieures.

Voici quelques exemples d’interventions médicales dont nous savons aujourd’hui qu’elles sont à l’origine de complications physiques ainsi que d’effets psychologiques négatifs pour la mère, le bébé et même le père:

  • le déclenchement

  • la position allongée obligatoire durant le travail et l’accouchement

  • la perfusion

  • l’amniotomie (rupture artificielle de la poche des eaux)

  • le monitoring fœtal

  • les touchers vaginaux fréquents

  • 📷les médicaments

  • l’injonction de pousser

  • la stimulation à l’aide d’ocytocine de synthèse

  • l’épisiotomie

  • l’extraction instrumentale (forceps, ventouse, spatules…)

  • la césarienne

  • l’aspiration systématique du nez et de la bouche du bébé après la naissance

  • le clampage précoce du cordon

  • l’obsession de l’expulsion rapide du placenta

  • la vitamine K et les gouttes oculaires

  • la séparation mère et bébé après la naissance

Le 15 février 2018, l’OMS a publié de nouvelles recommandations autour de l’accouchement qui visent à réduire la médicalisation des naissances. Le but d’apporter un accompagnement plus personnalisé aux femmes afin que le maximum d’entre elles puisse vivre une expérience positive de leur accouchement: http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2018/positive-childbirth-experience/fr/

La Haute Autorité de Santé plaide aussi pour une moindre médicalisation des naissances afin de redonner aux femmes la possibilité d’être actrices de la naissance de leur enfant. Voici le texte de la HAS de décembre 2017 concernant les recommandations de bonnes pratiques: « Accouchement normal: accompagnement de la physiologie et interventions médicales »: https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-01/accouchement_normal_-_recommandations.pdf

Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont montré que les naissances à la maison accompagnées par des sages-femmes libérales expérimentées sont au moins aussi sûres et même souvent plus sûres que les naissances à l’hôpital : http://vegetaliens.over-blog.com/2014/01/etudes-comparatives-entre-accouchement-%C3%A0-l-h%C3%B4pital-et-accouchement-%C3%A0-domicile.html

Les taux des complications suivantes sont de 3 à 30 fois plus élevées chez les femmes qui accouchent à l’hôpital : pression artérielle de la femme, détresse fœtale, dystocie des épaules, hémorragie post-partum, réanimation du bébé, contraction d’infections pour la mère et le bébé, utilisation d’analgésiques, recours à la césarienne, déchirures sévères du périnée, blessures périnatales chez le bébé. Quant au taux de mortalité maternelle et fœtal il est, selon les études, parfois égal parfois supérieur en milieu hospitalier…

Malgré ces réalités, le monde médical ne voit pas d’un bon œil l’alternative des AAD (accouchements à domicile), plus sécuritaire et répondant aux besoins de certaines familles. Les femmes qui optent pour un AAD ainsi que les sages-femmes qui les accompagnent sont souvent diabolisées et mal accueillies dans les maternités en cas de transfert d’une femme en cours de travail. La majorité de ces professionnelles est obligée de travailler sans assurance professionnelle, tant les compagnies leur imposent des sommes de cotisations annuelles exorbitantes et donc dissuasives. Les choses avancent lentement, les pratiques obstétricales sont faites de routines et d’habitudes basées sur des croyances erronées et on peut observer un entêtement de certains praticiens à maintenir, voire à augmenter leur niveau d’interventions.

Alors pourquoi certains médecins insistent-ils pour que les bébés naissent à l’hôpital ? Pourquoi soutiennent-ils des interventions non nécessaires et même dangereuses ? Pourquoi continuer à standardiser l’accouchement alors que chaque couple mère-bébé à des besoins différents ?

La première réponse à ses questions semble être l’ignorance du caractère dangereux des pratiques actuelles. Les médecins et mêmes les sages-femmes ont appris durant leurs études à considérer la naissance comme un état pathologique nécessitant leur intervention, que ce processus naturel n’est pas toujours digne de confiance. Beaucoup sont persuadés que par leur intervention, ils aident l’humanité et les femmes à se libérer des risques et de la douleur liés à l’enfantement. Ils n’ont pas toujours conscience qu’une intervention en entraîne une autre et que finalement ils courent après les remèdes à ce qu’ils ont eux-mêmes déclenchés. D’un point de vue personnel, ils reçoivent plus de reconnaissance et de gratification quand ils interviennent que quand ils ne font rien, car ils sont formés à agir plutôt qu’à attendre, observer, préserver.

Une seconde réponse peut être de nature financière. La naissance est de nos jours une affaire très lucrative pour les médecins exerçant dans le privé ainsi que pour l’industrie pharmaceutique.

Une troisième réponse pourrait bien être en lien avec les notions de pouvoir et le contrôle.

« Les médecins ne sont pas très différents de la société dans laquelle ils évoluent. Dans toute profession, on peut trouver des personnes qui ont des problèmes psychologiques et émotionnels non résolus. On peut voir cela chez les dirigeants politiques ou les fanatiques religieux. Mais d’une certaine manière, ce genre d’attitude est socialement plus acceptable lorsqu’il s’agit de la profession médicale, car les médecins sont considérés comme des personnes intelligentes, éclairées, qui savent assurément ce qui est bon pour nous ». Laura Kaplan Shanley. Accoucher par soi-même. Page 81.

Aujourd’hui les violences obstétricales sont dénoncées par les familles et certains professionnels et même médiatisées. Les médecins qui font un usage inadéquat de leurs compétences techniques peuvent être remis en cause. Mais dans beaucoup d’hôpitaux, ce sont encore les gynécologues obstétriciens qui « mènent la barque », pour certains persuadés du bien-fondé du contrôle des processus naturels, de la supériorité de la technologie sur la fiabilité du corps féminin. Ils défendent ardemment leurs positions concernant l’interventionnisme médical, en protégeant tout un système de croyances, en faisant vivre aux femmes et aux familles des expériences de naissance traumatisantes en toute impunité.

« La sécurité est le masque sous lequel se dissimule l’idéologie technocratique. Le véritable enjeu accouchements physiologiques/accouchements médicalisés n’est pas la sécurité, mais le conflit entre deux systèmes de valeurs radicalement opposés ». Davis-Floyd, 1992.

Pour réussir son accouchement par soi-même, cessons en premier lieu de considérer les médecins comme des sauveurs. Ce sont des humains, qui certes ont fait de nombreuses années d’études, ce qui ne les autorise pas à utiliser des paroles dévalorisantes, à se montrer antipathiques et à se comporter comme des tyrans.

Notons par ailleurs qu’il ne suffit pas de s’extraire de l’hôpital pour vivre une naissance simple. Les interventions médicales inutiles ne sont qu’une raison qui explique pourquoi la majorité des femmes occidentales vivent l’enfantement comme un acte difficile. Le rapport à l’accouchement est étroitement corrélé aux croyances sociétales et personnelles : croyances limitatives sur la naissance (vécu de notre mère durant notre naissance, conception de la naissance dans notre éducation, récits de naissance dans notre entourage, vision de la naissance dans les médias), manque de confiance en soi et de connexions à nos besoins et sensations, dépendance dans notre vie en général à se soumettre à une autorité extérieure…

En conclusion, n’oublions pas de mentionner que le sujet de la médicalisation des naissances est plus vaste qu’il n’y paraît. Il touche au sujet beaucoup plus global du pouvoir et de la place des femmes dans la société. Même après avoir reçu de l’information sur l’impact de l’interventionnisme en obstétrique, certaines femmes ne souhaitent pas mettre leur bébé au monde par elles-mêmes et c’est leur droit le plus strict. Elles peuvent apprécier l’assistance médicale proposée qui leur permet de rester dans une impression de confort relatif, (pour diverses raisons) et de ne pas endosser pas la responsabilité de tous les aspects en lien avec la naissance.

L’acte d’enfanter sous sa propre autorité fait assumer à la femme son sentiment de pouvoir, d’autonomie et d’indépendance (dans une société où elle est encore perçue et peut se percevoir comme dépendante de l’homme et sans défense). L’idée n’est pas ici de leur faire un procès, nous respectons ce besoin, les choix des femmes et toutes les formes d’accouchement. Dans une société où beaucoup de choses sont artificielles et nous éloignent de la norme de notre espèce, choisir de parcourir un bout de chemin vers soi n’est pas une évidence. Cependant, nous pensons que si une femme reçoit des interventions médicales durant son accouchement, cela devrait être parce qu’elle en a réellement besoin et/ou le demande et non parce qu’elle est persuadée qu’il est normal que les choses se déroulent ainsi.

Ludivine Baubry

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