La pression dès la maternelle
L’emploi du temps de Julia, 12 ans, élève de 5e, est digne de celui d’un ministre. Après sa journée au collège, elle se dépêche de rentrer chez elle pour faire ses devoirs et réviser les contrôles à venir. Ses parents, médecins, rentrent tard, mais s’arrangent pour revoir les leçons avec leur fille. Julia "comprend" que ses parents s’inquiètent pour son avenir, mais elle aimerait parfois "ne rien faire", jouer avec son chat ou inviter ses copines. Impossible. Même pendant les vacances, Julia doit réviser, au moins un peu.
Les collégiens ne sont pas les seuls à subir la pression parentale. « Les parents demandent des comptes dès la rentrée, constate Micheline, institutrice en grande section de maternelle dans une école parisienne. Ils vérifient quels dessins sont accrochés au mur, ils comparent les “résultats” de leur enfant avec ceux du petit voisin… Leur rêve secret ? Lui faire sauter une classe, évidemment ! »
Le culte de la performance
Fin publicité dans 26 s
Et l’étau se resserre jusque dans les activités extrascolaires. Les enfants ont souvent deux, trois, voire quatre activités par semaine, des fins d’après-midi hyperactives, et des mercredis bien remplis. « Nous sommes dans une société de performance, de réussite sociale, de chamboulement des valeurs, explique Nathalie Isoré, psychopédagogue à l’Ecole des parents. On ne vous demande jamais : “Qui êtes-vous ?”, mais : “Que faites-vous ?” Les parents sont imprégnés de cette culture. » Le spectre du chômage nourrit leur angoisse. Pour l’éloigner, ils misent tout sur les études de leurs enfants et leurs activités extra scolaires.
« C’est vrai, reconnaît Guillaume, père de deux enfants de 7 et 10 ans. Je suis conscient de ce que je leur impose, mais c’est pour leur bien. Bien sûr, il m’arrive de douter lorsque je les réveille à 8 heures le mercredi pour leur cours de tennis. Mais cette pression n’est pas gratuite. La vie est faite de cela, autant qu’ils le sachent. Sans travail, sans obstination, on n’obtient pas grand-chose. » Un exemple même "d’enfants stressés" évoqués par la pédopsychiatre Gisèle George dans son dernier livre ( “Ces enfants malades du stress”, Anne Carrière, 2002). Pour elle, les enfants subissent le même stress que les salariés en entreprise : « Un enfant qui a passé sa journée assis en classe, qui a fait ses devoirs et qui doit assurer à ses cours de violon et de solfège, finit par craquer. L’effort physique et psychologique est trop important. »
Le mythe de l’enfant idéal
Cette quête forcenée de réussite sociale prend aussi sa source dans le mythe contemporain de l’enfant parfait, vécu comme une prolongation narcissique de soi. « Cela commence souvent pendant la grossesse, explique Nathalie Isoré. Les parents font des plans pour la vie de cet enfant : ils le veulent le plus beau, le plus intelligent. » La mission tacite de cet enfant "idéal" ? Réparer, compenser et réaliser ce que ses parents ont "raté". Il ramène une mauvaise note ? C’est comme si on la leur avait infligée !
« Les réussites – autant que les échecs – de vos enfants ne sont pas les vôtres ! » s’échine à répéter Nathalie Isoré aux parents. Malgré ces mises en garde, Louise, 48 ans, enseignante à l’université, ne lâche pas prise. Son fils déteste le collège. Son rêve serait d’intégrer un cursus professionnel. « Je maintiens que le système général est plus formateur, insiste Louise. Et qu’il aura plus de chances s’il s’y accroche. » Résultat, leur relation se dégrade et le collège l’appelle de plus en plus souvent parce qu’il a séché les cours. Alors Louise sévit. « Evidemment, avoue-t-elle, je vis dans un océan de culpabilité ! »
Pour Béatrice Copper-Royer, psychologue (auteur de Vos enfants ne sont pas des grandes personnes, Albin Michel, 2000), les parents sont plus inquiets qu’autrefois : « Ils ont des attentes plus fortes parce qu’ils sont insatisfaits et fragilisés dans leur relation de couple ou dans leur travail. Alors ils ont tendance à tout miser sur les enfants. » Dans cette logique, l’enfant est mis en demeure d’être fort et parfait.
Texte issu de "Psychologie.fr"
Comments